Interview d’Emmanuel Marill, directeur d’Airbnb en Europe, sur RTS (radio suisse)



L’invité de la matinale de RTS : Emmanael Marill, PDG d’Airbnb en Europe – Episode du 24 novembre 2023

RTS : L’invité de cette matinale, le directeur de la plateforme Airbnb en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, Emmanuel Marill. Bonjour.

Airbnb créé il y a quinze ans, plateforme de location de particulier à particulier qui a dynamité le marché de l’hébergement touristique très populaire, trop populaire peut être pour les autorités de nombreuses villes dans le monde. En Suisse aussi, qui veulent réglementer vos activités, vous n’êtes plus les bienvenus partout avec vos hébergements réservés à la location, vous êtes accusés de creuser la pénurie de logements dans les centres villes et du coup de faire exploser les loyers. Alors Airbnb, en quelques chiffres, c’est 8,4 milliards de chiffre d’affaires en 2022, 1,9 milliards de bénéfice. Des dizaines de millions d’hôtes dans le monde, plus d’un million de clients en Suisse. Donc Airbnb se porte bien. Très bien malgré ces vents contraires.

Emmanuel Marill : Airbnb se porte bien effectivement. On a annoncé nos derniers résultats il y a quelques semaines, sur le troisième trimestre on voit qu’il y a une progression de 20 % par rapport à l’année dernière, par rapport à 2022. Sur le troisième trimestre 2023 donc, les signaux sont au vert. Les gens ont envie de voyager toujours, évidemment. Et cette offre d’allez voyager chez quelqu’un d’autre, le côté abordable aussi du voyage, et puis l’offre, le choix. Finalement, très clairement, on voit bien que ça a toujours vraiment la cote et et que ça fonctionne très bien, et notamment en Suisse d’ailleurs, on a eu une augmentation de 50 % des recherches voyageurs suisses depuis le début de l’année en fait.

Et les loueurs ont toujours envie de louer de plus en plus. C’est vraiment devenu un business pour ces loueurs d’héberger des voyageurs. On s’éloigne quand même un peu de l’idée de base d’Airbnb qui était de permettre à un particulier de louer sa chambre, son canapé lit. Là, c’est devenu un vrai business.

Vous savez, vous avez de tout. C’est souvent ce que j’entends un peu partout dans le monde d’ailleurs. En réalité, l’idée de base, c’est Airbnb, c’est Air Bed and Breakfast, donc c’est un lit gonflable et un petit déjeuner. Donc là, c’est la traduction littérale. Mais finalement, quand on regarde les chiffres, même en Suisse ou en Europe, on a plus de la moitié des gens qui hébergent aujourd’hui en Suisse dont c’est la résidence principale et ils le font chez eux quand ils partent en vacances ou en week end. Ensuite, on a quand même 15 % des gens en Europe qui ouvrent leur porte pour une chambre, juste une chambre, même pas la maison en entier. Donc ça, ça reste très proche aussi de l’ADN de 2008 finalement. Donc c’est quoi finalement Airbnb? C’est probablement un des meilleurs moyens d’arrondir ses fins de mois aujourd’hui, avec ce qui vous coûte le plus cher, à savoir votre maison, que ce soit par un remboursement d’emprunt ou un loyer. C’est pour ça que ça marche aussi fort, d’un côté, on a des gens qui veulent voyager différemment, aller chez d’autres personnes et de l’autre on a des personnes qui ont besoin d’argent. Finalement, cette rencontre de ces deux phénomènes a créé cette plateforme et cet engouement.

Et de juteuses commissions pour vous aussi ?

Et une activité pour Airbnb. Mais enfin, vous avez l’immense majorité des revenus qui va à l’hébergeur aujourd’hui puisque finalement c’est eux qui fixent le prix et nous (Airbnb) on prend une petite commission là dessus du côté hébergeur et du côté voyageurs. Mais bon, quand on voit le dynamisme, vous rappeliez les chiffres au départ, on voit bien qu’effectivement ils y trouvent leur compte et j’étais avec certains des hébergeurs hier à Zurich pour rencontrer le club des hôtes de Zurich. Ils sont vraiment très contents.

Vous comprenez que certains aient peut-être l’impression que vous empocher le pactole chez Airbnb en ne faisant pas grand chose parce que c’est l’hôte qui fait le ménage, c’est pas vous.

C’est là tout l’enjeu des plateformes et quelle que soit l’activité, c’est de connecter la demande avec l’offre. Et ça, ça a quand même une certaine valeur. Il faut une technologie pour le faire, une technologie qui est complexe et il faut surtout permettre, et c’est là que c’est compliqué. Les gens ne s’en rendent pas compte parce que vous avez raison, c’est l’hébergeur qui fait tout, qui fait l’accueil, qui fait l’hospitalité, qui amène finalement ce petit plus, qui crée l’authenticité du voyage. Mais ce sont la plupart du temps, et dans l’immense majorité des cas d’ailleurs, des particuliers, des gens qui ne sont pas du tout des professionnels du tourisme et du voyage. Et nous, notre rôle chez Airbnb, c’est pour ça qu’on travaille beaucoup là dessus, c’est de faire en sorte qu’ils aient les codes du voyage sans être des professionnels du voyage. Et c’est cette formation là, c’est tout cet accompagnement qui est très important pour nous aujourd’hui.

Les codes, mais pas forcément les compétences. Et on entend les hôteliers qui crient à la concurrence déloyale, qui ont l’impression que cette offre là, elle leur pique des clients. Qu’est ce que vous répondez?

Moi je leur réponds que le client 1) il n’appartient à personne. On a quand même envie de donner le choix et on voit bien qu’on est complémentaire. On voit bien que sur certains types de voyage, le voyage d’une nuit par exemple, l’hôtellerie est intéressante. Et puis sur des séjours plus longs en famille, pour les jeunes, si vous voulez découvrir une grande capitale européenne et que vous êtes étudiant, vous n’avez pas forcément des moyens colossaux évidemment. Et l’opportunité de donner via Airbnb qui est très abordable permet justement cette découverte là. Donc il y a du bien en fait, il y a de la place pour tout le monde. Et d’ailleurs, quand on regarde les chiffres de l’hôtellerie en Europe depuis un an, on voit bien que les hôtels ont une croissance très forte et Airbnb aussi. Donc finalement tout le monde est content. Donc donnons le choix, offrons ce choix là, cette possibilité là, je pense que c’est important.

Vous parlez de ces voyages dans les grandes capitales. Là, on est au cœur du problème, Airbnb, qui est accusé par certaines autorités d’aggraver la pénurie de logements parce que, au fond, vous occupez des logements qui ne sont pas sur le marché, qui sont réservés pour la location. Les habitants du coin n’arrivent plus à se loger. Qu’est ce que vous répondez?

Je réponds qu’il y a plusieurs points. Le premier, c’est qu’il faut une réglementation, c’est à dire qu’il faut que les villes en Europe, d’ailleurs on voit bien la Commission européenne a légiféré récemment, puissent avoir des outils pour réguler ça et une réglementation qui soit proportionnée, pas quelque chose qui soit punitif, mais quelque chose qui encourage la location pour les particuliers, les résidences principales, les résidences secondaires dans les zones de vacances, éventuellement les chambres chez l’habitant, mais pour donner un cadre clair, ce qui permet aux édiles, aux maires de pouvoir mesurer et maîtriser ce qui se passe sur leur territoire. Et je pense que sans ça, on a pu voir des cas, notamment dans le passé, parce que la plupart des villes sont régulées quand même, on a pu voir des excès, mais il faut ce bon équilibre entre une bonne réglementation. Il faut être réglementé d’un côté et une réglementation qui encourage les hébergeurs à le faire parce qu’on en a besoin. Finalement, on a besoin de cette cette possibilité là. Il y a des villes qui n’ont pas du tout les capacités hôtelières pour accueillir de grands événements ou pour accueillir même des événements plus modestes. Et donc on a besoin de cette compétence là.

Mais sur le constat, vous êtes d’accord : Oui, Airbnb à creusé la pénurie de logements dans certaines villes et à fait flamber les loyers.

C’est pas ce que montrent les études qu’on a. On a une étude pour la France par exemple, qui a un marché très très mature pour Airbnb. On a vu les résultats très récemment. Il y a une étude PricewaterhouseCoopers qui est sorti, qui montre que la vacance des logements, que les problématiques entre propriétaires et locataires ou l’absence de construction de logements pèsent beaucoup plus fortement sur la hausse des loyers ou la rareté du logement que Airbnb. Je vous rappelle encore une fois l’immense majorité des gens qui louent leur logement sur Airbnb, ce sont des résidences principales. Donc si vous dites à ces gens là d’arrêter Airbnb, ça ne va pas rajouter de logements dans la ville en question. Donc, je pense que chaque cas est spécifique, chaque ville est spécifique. Mais encore une fois, moi j’appelle et j’encourage les gouvernements à réglementer de manière concertée et proportionnée.

Oui, le message peut paraître surprenant. Vous dites oui à la régulation, mais mais quelle régulation? On voit par exemple qu’en Suisse, certaines villes limitent en terme de jour le nombre de jours qu’un particulier peut mettre en location son logement. D’autres vont beaucoup plus loin. Florence interdit des locations Airbnb dans le centre historique pour qu’il reste accessible aux habitants. New York interdit les locations inférieures à 30 jours, moyennant quelques quelques exceptions. Là aussi, l’idée, c’est de garder des logements pour les habitants. Quelle régulation? Vous dites oui, à quoi? Chez Airbnb?

Ce que je vous disais tout à l’heure, je pense que le cadre que la Commission européenne a défini, c’est à dire par exemple des systèmes d’enregistrement ou de partage de données, mais qui soit automatique sur la partie enregistrement, etc. Ce sont des choses qui sont intéressantes. Ça fait huit ans que je suis chez Airbnb, j’ai rencontré des centaines de maires de villes et à chaque fois, ce que j’ai réalisé à chaque fois, c’est que le début du rendez vous qu’on a, il est toujours un petit peu suspect. Mais dès qu’on leur donne les chiffres sur la réalité du nombre d’hébergeurs qu’il y a dans votre ville ou du nombre d’annonces qu’on dit, d’où viennent les voyageurs, combien de temps il reste, quel est le prix moyen ? On collecte la taxe de séjour, vous savez, en Suisse, on collecte la taxe de séjour dans neuf cantons et quand on leur donne cette visibilité là, ils sont là. “Oui, d’accord, je comprends, c’est très intéressant”. Et donc je pense que l’information, le partage de données est déjà un élément très important. Ça, c’est quelque chose qui est notamment encouragé par la Commission européenne. Et on travaille aussi en Suisse et dans d’autres pays du monde. D’ailleurs, pour sur ce genre d’aspects là, je pense qu’il faut encore une fois encourager et donner un cadre. Les gens ont besoin d’un cadre quand c’est gris, quand il n’y a pas de cadre, les gens ne savent pas trop quoi faire et c’est compliqué. Il faut un cadre et un cadre qui soit relativement simple. Si Monsieur et Madame Tout le monde peuvent louer leur maison ou leur appartement quelques semaines par an et gagner quelques milliers de francs suisses, en Suisse, par exemple, c’est 5000 francs suisses en moyenne en 2022 pour un hébergeur sur les 25 000 hébergeurs. Donc, vous voyez, on a on a un revenu qui est absolument pas ridicule.

Donc une régulation à la Suisse avec cette limitation de nonante (90) jours très light, très légère par rapport à ce que font d’autres villes. Ça, ça vous convient assez bien, mais il ne faut pas aller plus loin. Pas d’interdiction par exemple.

Je pense qu’une interdiction serait encore une fois interdire une activité comme celle ci. Le seul premier impact que ça aurait, ce serait de pénaliser les populations locales et de ne pas pouvoir gagner d’argent avec ce qui leur coûte le plus cher. Comme je vous disais au départ, je pense que la réglementation, elle est locale, elle doit être assez locale finalement, doit être nationale par pays et répondre à un besoin local. Voilà, le besoin est différent quand on est en zone de montagne, en zone littorale, dans une grande ville, une petite ville, une moyenne ville ou à la campagne. Airbnb est aussi un moyen formidable de dynamiser les campagnes. C’est formidable. Vous avez une maison à la campagne, les gens qui ont envie de s’extirper de l’urbain, de leur vie urbaine le week end, et bien ils vont pouvoir aller dans un Airbnb. Il n’y aura pas forcément d’autres opportunités ou d’autres options et c’est là que ça devient important. Donc il faut plutôt, je vous dis encore une fois, c’est encourager, discuter de manière concertée sur le sujet.

En tout cas, pour Airbnb, les chiffres sont bons, je les évoquais en introduction chiffres meilleur que le cours en bourse, parce que les investisseurs redoutent cette tendance à une trop grande régulation. Comment vous pouvez les rassurer, les investisseurs?

Airbnb est présent dans 220 pays et des milliers de villes et donc je pense que les opportunités et les options de voyage, que ce soit pour côté voyageur ou hébergeurs, sont multiples. On voit bien qu’on est même au début de l’histoire finalement, parce qu’on se rend bien compte que moi, je couvre l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique et même une partie de l’Asie. On voit bien aujourd’hui qu’il y a énormément d’un engouement qui est quasi planétaire sur ce type de voyage là. Et donc je pense qu’on est vraiment au tout début finalement. Donc, moi, je suis très optimiste, évidemment.

Votre directeur général (Brian Chesky) a parlé de virage nécessaire pour Airbnb à l’avenir. Il entend quoi par là?

Je pense qu’en fait on a beaucoup travaillé depuis trois ans et notamment les années covid sur l’amélioration du produit de notre technologie et de donner la possibilité, vous en parliez au départ, de créer une technologie qui permette à des gens qui ne sont pas professionnels d’accueillir des gens chez eux de la meilleure des manières. On a passé trois ans à améliorer notre produit, le rendre plus performant, plus fin et on a encore fait des annonces il y a quinze jours qui donnent cette aide là finalement. Donc je pense que ce que Brian Chesky voulait dire par là, c’est maintenant, on va pouvoir passer à l’étape d’après, qui est de développer notre activité au delà de ce produit et d’aller sur d’autres aspects. Par exemple, il y a beaucoup de choses. Il parlait notamment de services pour les hébergeurs ou de services pour les voyageurs. Vous voyez, une fois que vous avez créé une telle communauté d’hébergeurs et de voyageurs dans le monde entier qui ont adopté le produit, parce qu’il y a une utilisation qui est très forte, et bien après, vous avez la possibilité de leur proposer d’autres choses, et notamment des services. Et c’est là que c’est là que ça devient très intéressant.

Et de faire encore plus de profits ?

Je pense, et surtout encore plus de revenus pour ces millions d’hébergeurs dans le monde entier. Je pense que je reviens à ce que je vous disais tout à l’heure 5000 francs suisses pour l’année dernière, juste ici, ça reste quelque chose qui est très significatif. Le but, c’est de continuer, d’avoir de plus en plus d’hébergeurs. D’ailleurs, on voit une belle progression du nombre d’hébergeurs en Suisse, très forte. Ça veut dire que vraiment les gens ont compris. C’est le bouche à oreille qui a fait le succès d’Airbnb depuis le départ, depuis 2010, depuis 2009 même. Et on voit bien que ce bouche à oreille là, il fait des petits et ils prospèrent un peu partout.

Emmanuel Marill, directeur d’Airbnb en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, merci !

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